Pont du Midi
Exécution des travaux : 2003
Jonction Midi-Chapelle, 1000 Bruxelles
Coordination : Véronique de Bellefroid
Maître de l’ouvrage : SNCB

Profitant des travaux de rénovation structurelle (2002) du pont de la Gare du Midi, cette charnière de la jonction ferroviaire Nord-Midi, la SNCB a associé un artiste pour sa mise en peinture et en lumière. Une commission consultative d’experts pour l’intégration des oeuvres d’art dans ce quartier, mise en place en 2001 par Isabelle Durant, à l’époque Ministre des Communications, a désigné le peintre Jean Glibert pour entreprendre ce projet. L’artiste s’est donc attelé à révéler la jonction Midi-Chapelle en dynamisant le pont par la force et la puissance de la couleur et de la lumière. Pour mieux comprendre le travail de Glibert, il faut considérer ses innombrables croquis, dessins, maquettes, études de couleurs aussi bien que ses photographies et ses collections d’échantillons (1) de couleurs qu’il rassemble, toujours en quête de qualités précises. Jean Glibert se met à la disposition du pont. Il en écoute les spécificités. Au travers de toutes les maquettes d’études, développées, construites ou non, il nous en révèle la nature : sa structure, sa forme, son mode de fabrication, son positionnement et son rayonnement dans la ville. Chaque maquette est précédée d’un plan de montage et se trouve en relation étroite avec la technique réelle de mise en oeuvre et de fabrication de l’ouvrage d’art. Les planches composées et leurs détails illustrent parfaitement la complexité de la réflexion qui sous-tend la simplicité apparente de la proposition finale. C’est là que l’on apprend que le pont est fait de trois entités décalées, engendrées par la non-orthogonalité du croisement routier et ferroviaire. La couleur est, pour Glibert, bien plus qu’une affaire de choix de nuances. Elle constitue un phénomène aux possibilités infinies : quantité, densité, surface, texture, réflectivité, proportion, échelle, énergie, interaction, interférences dans la vie de tous les jours, poésie. Comme chez Donald Judd, la couleur est chez Glibert quelque chose de physique, un matériau de plein droit. Elle peut signifier ou non mais, comme d’autres choses dans le monde, elle existe. Elle est langage autonome, expressif et structurel et non ajout décoratif. Glibert travaille la couleur de façon pragmatique comme la forme et l’espace. Il la teste, l’expérimente, l’apprend au fur et à mesure, hissant de la sorte l’empirisme au niveau d’une méthodologie, d’un processus de travail pleinement épanoui, «d’un plaisir de faire, indispensable à la recherche» (in Jean Glibert, Conversation avec Raymond Balau, Gerpinnes, 1997, np). Il part de situations observées et la décision qu’il prend d’arrêter une couleur, «est celle qui devait s’affirmer et jamais celle imposée par le geste de l’artiste» (Laurent Busine, in Jean Glibert. Tables d’espace - Epures, catalogue d’exposition, Musée d’Ixelles, 23 avril - 13 juillet 1997, np). «Le travail de la couleur, c’est comme dessiner une hélice de cargo : la beauté des formes dépend complètement de l’efficacité dans les faits» (in Jean Glibert, op. cit.). Dans ce cas, le choix d’une dominante rouge vient de sa décision de caoutchouter le pont et le lieu, de les tenir ensemble et les faire vibrer. Dans ce lieu voué au trafic, au bruit, aux passages, aux changements perpétuels, le rouge, le noir et le gris contribuent au champ actif d’une expérience visuelle. La couleur établit le lien, le noeud mouvant, entre Midi et Chapelle mais aussi dessus et dessous du pont, notamment par la mise en couleur et lumière des porte-caténaires (non encore exécutés à ce jour). Le rouge se découvre progressivement. Le pont s’ouvre lorsqu’on passe par-dessous. Les couleurs et lumières du pont sont pensées comme matière (le caoutchouc, cette substance élastique). Les Led, les phares de voitures, le soleil levant ou couchant... les allument. Au lever du soleil, le pont flambe. Pour Goethe, le rouge est une énergie positive qui nous incline «vers l’animation, la vivacité, l’effort» (in Johann Wolfgang von Goethe, Traité des Couleurs, Paris 1996, p. 263). «A l’énoncé de ce terme, poursuit- il, on éliminera tout ce qui dans le rouge pourrait donner l’impression du jaune ou du bleu. On imaginera un rouge absolument pur». Partant d’un rouge anti-rouille, Jean Glibert est passé progressivement à un rouge camion de pompier que Goethe nommerait un rouge pur, d’une intensité maximale. Les ponts et les portes-caténaires sont devenus l’armature spécifique des couleurs en résonance. Repère et signal, le rouge bouge, attire et semble proche. Il dynamise ce «point chaud» et cette zone «rouge» de Bruxelles. La «force réelle de la couleur» (Malevitch) a incorporé le lieu socialement et dans l’espace et dans le temps.

Bernadette et Michel De Visscher - d’Haeye