«Un biscuit géométrique dans la poche pour cheminer sans risque face aux potentiels bombardements »

L’organisation «à loisir», mais au demeurant méthodique, d’une activité de collecte participe à part égale au travail de Jean Glibert. Du point de vue de la chronologie, le travail d’architecte a toutefois anticipé cette activité. Pour l’anecdote, le constat d’affinités «esthétiques sérielles» entre une boîte de crayons de couleur et un travail réalisé précédemment a été l’élément déclencheur. Cette déambulation constante de glaneur, attentif parfois jusqu’à l’obsession, vise à contenir le débordement des objets/bribes du monde. Toutefois, dans ce périmètre infini qu’offre ce champ d’investigation, le marcheur/observateur finit par tracer des lignes d’ordre précises et opérer des «découpes» dans la prolifération. Il s’agit, dans cette constitution d’un stock d’imaginaires inépuisables, de ne pas se disperser mais d’épuiser le réel en l’affublant au final de sens et de repères signalétiques pour s’y déplacer. Face à ce qui pourrait se dérober, il faut penser/classer. En réponse à ces contraintes de positionnement, Jean Glibert infiltre des balises dans le flux de l’espace réinvesti poétiquement. Cette tentative d’isoler des parties de tout n’est pas gagnée d’avance. La méthode, autant qu’il est possible d’en rendre compte, peut s’exposer par deux principes mis en oeuvre. Le premier trouve son champ dans la collecte de séries organisées, pratique du recensement du même (en l’occurrence les objets) dans ses multiples versions disponibles. On pourrait l’appréhender comme un répertoire de voies d’accès dans «l’ordre trouvé». Cette appropriation constate la composition pré-organisée d’ensembles d’objets à fonctionnalité économique, industrielle ou artisanale. La finalité première de ces ensembles homogènes en apparence est leur mise en circulation pour l’usage; elle n’est pas d’ordre esthétique. Par ce détournement de leur valeur d’usage et leur déplacement dans l’inutilisable, Jean Glibert en fait surgir un sens esthétique qui s’y trouvait contenu comme «par défaut». Le second principe s’attache à récolter le résultat de rencontres fortuites (bouchons de bouteilles ou boîtes de Coca-Cola sculptées par les pneumatiques automobiles) ou d’incidences micro-événementielles (essai des crayons au rayon papeterie, dessins sur les sous-bock de bière). Ces séries déchiffrent l’ordre des «automatismes révélés», des interventions involontaires ou mécaniques. La mise hors contexte, leur «kidnapping» dans l’espace, réattribuent là encore une valeur esthétique à l’ensemble. Ces deux principes travaillent à composer une compréhension du monde mais surtout à réinventer un mode de circulation spécifique dans la complexité d’un espace surchargé de signes. Ces séries/ensembles, provisoirement dérobés, sont mis à profit pour neutraliser l’évidence de leur présence et les restituer ultérieurement, accompagnés d’un tracé lisible, d’une nouvelle ligne de perspective d’une signalétique d’entrée et de déplacement. Ceci peut-être éclaire cela.

Francis Mary